Quel humain augmenté demain ?

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Écrit par Kunckler Florian

Qui sera cet humain augmenté demain ? La question se pose chaque jour un peu plus. Elle a mobilisé les esprits éclairés des médiatiques scientifiques Igor et Grichka Bogdanoff et du métaphysicien Jean Maurice Monnoyer, le 12 juin dernier. Une problématique aux airs de roman de science-fiction. Une aspiration dont l’essence serait aussi vieille que l’humanité. Un sujet prometteur avec en ligne de mire une question centrale : demain tous immortels ? Une chose est sûre, les idées développées par les 3 scientifiques ont donné du grain à moudre aux participants de cette conférence exceptionnelle Belle de Mai.

Dépasser sa modeste condition de mortel, est-ce un fantasme aussi vieux que l’être humain ? Probablement, semblent répondre d’une seule voix les deux frères Bogdanoff. Igor en veut pour preuve une phrase éloquente du Duc de Bouville, remontant au XIVe siècle : « Par le fer et l’armure, le preux combattant a le cœur et la chair endurcis ». En voilà une manière élégante de démontrer la transcendance de cette aspiration à des facultés physiques, psychiques et physiologiques augmentées. Ici, non seulement l’armure se place en prothèse venant augmenter la résistance physique du guerrier, mais elle renforce sa confiance, son attitude au combat. L’armure – « ce quasi exosquelette » complète Igor Bogdanoff – fait déjà du chevalier du Moyen-Âge, un homme augmenté.

Les intervenants mettent rapidement à jour les prothèses de notre temps. Parmi elles, comment ne pas citer les smartphones : « ces prothèses intelligentes qui sont un prolongement de nous-même. Nous nous adaptons physiologiquement à leurs contraintes. Pour preuve, ceux qui sont nés avec ces machines sont devenus ambidextres. Ils s’en servent avec les deux pouces. C’est épatant », expose Grichka Bogdanoff. « L’homo connecticus », définira plus tard Jean Maurice Monnoyer, « il est cet homme post-moderne, en permanence en capacité de mobiliser des contenus ».

Ne plus être prisonnier de nos sensations : l’homme libéré de ses sens

Mais le métaphysicien n’hésitera pas à relativiser cette vision de l’homme augmenté. « Il n’est aujourd’hui qu’un homme constamment réparé. C’est une vision anthropomorphique de notre évolution. Il faut s’en départir. ». Pour le philosophe, la véritable « augmentation » est à chercher ailleurs (point de guillemets ici, tentons plutôt de vulgariser son propos, ndlr).

Selon ses travaux, l’homme augmenté serait finalement un homme plus en phase avec son environnement. Cet homme post-moderne devra investir plus judicieusement ce qui l’entoure, pour mieux interagir avec son écosystème. « Mais pour cela faudrait-il encore sortir de son « ego-tunnel », arrêter d’être emprisonné par ses stimuli ». Autrement dit : se détacher de ses émotions. Notamment, ne plus seulement tout faire pour être aimé.

Pour le métaphysicien, c’est donc du côté de la balance entre le réel et la réalité virtuelle (celle qui résulte de notre perception, de l’expression de nos sens, de notre interprétation) qu’il faut chercher. « Arrêter de confondre l’actualité et la présence ». « Sortir du tunnel subjectif ». Des injonctions métaphysiques que le philosophe teinte d’exemples. « La douleur. La réponse de notre corps va être de moduler cette sensation : elle ne diminue pas, mais nous allons stabiliser cette réaction pour la neutraliser. »  La question centrale de l’homme post-moderne serait donc la suivante : comment intégrer au mieux le stimulus dans le réel ?

Quand la technologie « trans-humanise »

La métaphysique donne un sens à l’évolution de l’homme. La technologie lui ouvre de nouveaux horizons. Ainsi, les frères Bogdanoff avaient prophétisé. En 1973, ils écrivaient que si la machine serait capable dès le début du XXIème siècle de traiter des données « de manière vertigineuse », elle serait quelques années plus tard en mesure de dépasser la simple intelligence vers une véritable conscience artificielle.

Utopie (ou chimère) de science-fiction ? Avec le saut technologique – la puissance de calcul – que nous laisse entrevoir l’apparition des ordinateurs quantiques, cette hypothèse est plus que jamais vraisemblable. D’ailleurs, nous en serions déjà aux prémices.

« Lorsqu’un homme ne sera plus capable de savoir s’il parle à un homme ou à une machine, nous serons en route vers l’autonomie de la machine, vers la conscience artificielle », prophétisait Turing en 1950. Ce pas viendrait d’être franchi le 7 juin dernier, selon l’Université de Reading, par une équipe de scientifiques russes. Ils ont recréé l’intelligence d’un enfant de 13 ans et ont bluffé 33% du jury[1]. Des résultats à relativiser à la lumière du protocole utilisé. Mais un constat demeure : nous allons toujours plus loin vers une conscience artificielle.

Quelles conséquences pour l’homme et ses velléités transhumanistes ? On peut aisément les repérer dans un blockbuster sensationnel réalisé cette année par Wally Pfister, Transcendance : être un jour en mesure de transférer un cerveau humain dans une machine. Autrement dit, flirter avec l’immortalité. « Cela nous renvoie bien évidemment à tout un cortège de considérations éthiques », s’empresse d’ajouter Grichka Bogdanoff. Mais le mot est lâché : l’homme augmenté serait-il, demain, immortel ?

Demain, tous immortels ?

Avec la compréhension des télomères, tout devient possible. Voilà un autre moyen d’envisager l’immortalité. En tout cas, selon Grichka Bogdanoff : « il faut penser l’humanité comme promise à une vie beaucoup plus longue. » Et à l’écouter, ce n’est pas une utopie : « nous commençons aujourd’hui à maitriser des technologies, qui en convergeant demain, nous permettrons de franchir un grand nombre de barrières ». La sénescence cellulaire. La dégénérescence physiologique. Et le scientifique de rapporter une échéance impressionnante : « cela pourrait arriver dans les 5 à 10 ans à venir ».

Explication. L’expérience de vie n’augmente plus ces dernières années, « elle stagne, impactée considérablement par les maladies dites de société, cancers en tête ». La compréhension de la notion de télomère pourrait nous permettre de trouver des armes probantes dans le combat contre le cancer. Et, toujours selon Grichka Bogdanoff, nous ouvrir les portes vers une vie beaucoup plus longue, nous laissant entrevoir l’immortalité : « le secret qui nous fait entrevoir, d’abord la fin des cancers, ensuite l’immortalité – tout du moins celle des cellules – se trouve là, à l’extrémité des chromosomes. »

Le scientifique rapporte alors les avancées d’un laboratoire français, qui entrevoit la possibilité d’agir sur la taille des télomères. « Dans les 5 ans, nous serons dotés de moyens efficaces pour lutter contre la dégénérescence des télomères. Et à ce moment là, l’espérance de vie dépassera les 100, 120, 150 ans. C’est aujourd’hui très difficile à concevoir, mais une vie humaine limitée à 80 ans, ce ne sera plus vrai en 2020. »

Une belle qualité d’intervention qui a su touchée l’audience de la Belle de Mai. Et qui lui donne effectivement du grain à moudre pour quelques temps encore.

Vous souhaitez vous aussi vous faire votre idée sur le sujet ? Commencez par vous plonger ou vous replonger dans les débats de la Belle de Mai, pour ne rien manquer des idées des frères Bogdanoff et de la pensée du Pr. Monnoyer. Pour être en mesure de répondre vous aussi à cette question centrale : Qui sera l’humain augmenté ?

 


[1]          Le protocole de Turing imposait 30% de juges convaincus pour valider le test

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