Les TIC et le handicap, en quête de sens
Compte-rendu de la conférence Belle de Mai du 13 novembre 2012 organisée dans le cadre des Journées de l’entrepreneur
La formule ne fait pas polémique. L’idée est aujourd’hui admise. Valérie Camillo, responsable TICE pour l’Université d’Aix-Marseille, Sylvie Serret, praticienne au CHU Nice-Lenval et Sébastien Christian, créateur d’Idova, n’ont d’ailleurs pas cherché à nier l’évidence : bien sûr la relation entre les TIC et le handicap est créatrice de sens. Reste à savoir à quels niveaux, à quels prix et pour quels résultats ? Les intervenants de la conférence « les TIC et le handicap, en quête de sens », organisée par l’Incubateur Belle de Mai en partenariat avec Marseille Innovation, se sont penchés sur ces questions.
« Ce sont mes yeux. » Lorsque l’on cherche à faire apparaître un lien entre le handicap et les technologies de l’information et de la communication, il y d’abord les évidences. « Voilà comment un étudiant de l’Université d’Aix Marseille souffrant de déficience visuelle définit les TIC : ce sont ses yeux, tout simplement », rapporte Valérie Camillo, chargée de mission TICE auprès de l’université. De poursuivre : « Son aisance vis à vis des technologies numériques m’a sidéré. »
Lorsque l’on est touché par un tel handicap, l’aide que peut constituer les TIC n’est plus à démontrer. « C’est vrai pour ce jeune homme atteint par le handicap depuis la naissance. C’est d’autant plus vrai pour une de ses collègues étudiantes, déficiente visuelle depuis quelques années seulement. Moins à l’aise avec son environnement, l’importance d’outils numériques accessibles devient pour elle incontournable. » TIC et handicap, en quête de sens?
Rendre accessible l’université : adapter le diplôme C2I à tous les publics
Pour ces étudiants marseillais, la quête de sens consistait en l’obtention d’un diplôme. Le C2I, Certificat informatique et internet, attestant d’une bonne maitrise des outils numériques, incontournable lorsque l’on souhaite témoigner d’un cursus universitaire. « Restait à l’adapter, à lui donner du sens pour tous les publics bien sûr, mais aussi à le rendre accessible à tout le monde. »
Rendre accessible. Si cela a été le nerf de la guerre pour Valérie Camillo avec le C2I, c’est bien une question centrale pour qui aborde les problématiques liées au handicap. Mais qu’est ce que l’accessibilité ?
Sébastien Christian, créateur d’Idova, propose sa définition : « Dans le rapport au handicap, il est primordial de distinguer la compensation de l’accessibilité. La compensation représente l’effort que va faire un individu pour pouvoir accéder à un service, à un bien. L’accessibilité, en revanche, c’est l’effort que va faire une structure, physique ou numérique, pour permettre à la personne de l’atteindre ou l’utiliser. »
Le premier est un droit. « Se procurer une prothèse auditive à l’université par exemple pour une personne victime de surdité ». Le second est une obligation. « Cela veut tout simplement dire qu’au moment où je produis quelque chose, j’essaie d’y injecter la variété d’utilisateurs potentiels dans l’usage de l’outil que je crée. Cela dépasse bien sûr la question du handicap. » Mais cette question en fait bien partie.
Quant à savoir si la loi de 2005[1] encadrant ces deux principes a joué son rôle ? « Dans le droit à la compensation c’est indéniable. Pour ce qui est de l’accessibilité, il faut être réaliste. L’échéance légale pour rendre accessible les bâtiments recevant du public est fixée à 2015. C’est dans deux ans. On est encore très loin du compte. » La loi sur le handicap, un tigre de papier? « Pas forcément, on va voir dès 2015 des collectifs commencer à attaquer en justice les structures n’ayant pas appliquées la loi. 2015, c’est l’ouverture de la chasse pour les défenseurs des personnes souffrant de handicap. »
Voilà la base. Les TIC sont un secours indéniable pour certains, leur accessibilité est une obligation légale pour tous. Ne peut-on pas pousser un peu plus loin le lien entre les deux notions?
Une histoire de rencontres
Handicap et TIC, c’est d’abord la rencontre de deux paradigmes. Rencontre qui peut recouvrer différentes réalités. Celle d’une technologie, d’un média, créateurs d’émotions ; et d’un individu qui doit apprendre à reconnaître les siennes. Ou celle d’un outil qui va révéler chez un individu des compétences que la société n’a pas toujours décelés.
Sylvie Serret est praticienne au CHU de Nice-Lenval et, depuis 2004, au Centre Ressource Autisme Paca. Elle étudie l’autisme et se fait la porte parole d’une théorie aujourd’hui largement reconnue : « Résumer le handicap à une déficience intellectuelle est une aberration. Si je vous fais passer un test de QI en chinois, vous serez certainement vous aussi déficitaires. Si l’on utilise les grilles classiques avec des individus autistes, effectivement on conclura à une déficience. » Le parallèle fait son effet.
« Lorsque l’on considère l’autisme, tout est question de langage. On se rend compte qu’au delà de la communication verbale, les personnes atteintes d’autisme sont souvent très performantes sur le plan visuel. » Détermination visuelle, mémoire visuelle, compréhension visuelle et raisonnement sur du matériel visuel. Autant de domaines qui s’avèrent en phase avec les formes d’expression de la personne autiste. De là à envisager les TIC pour révéler les aptitudes des individus autistes, il n’y a qu’un pas. De là à leur permettre de s’ouvrir à leur environnement, il n’y a encore une fois qu’un pas.
Et ces pas, Sylvie Serret les a bien franchis. « En m’occupant du CRA, je rencontre près de 400 personnes atteintes d’autisme chaque année. J’ai rapidement identifié, en écoutant les parents, en recoupant des avis, que face aux outils de l’information, ces personnes étaient particulièrement habiles. Devant une télé, avec un ordinateur, un smartphone, une tablette. C’était à l’évidence un champ à exploiter. » Petit pas par petit pas, de la simple vidéo à la création d’un jeu vidéo spécialisé, de nouveaux outils allaient naître. De nouvelles applications des TIC allaient se développer.
Ainsi, ils ont participé à la création d’un serious game, JeStimule, destiné à améliorer la cognition sociale des individus autistes.« L’évaluation des résultats de l’utilisation de l’outil s’est avérée très encourageante. On a noté une amélioration très importante de leur capacité à reconnaître des émotions. »
Reconnaitre les émotions est un des pré-requis pour entrer dans le champ des interactions sociales. Le jeu vidéo permettrait de participer à l’extériorisation des individus autistes. La quête de sens prend alors toute sa mesure. Fort des résultats très positifs de cette expérience, Sylvie Serret développe actuellement, en partenariat avec Solar Games, un nouveau jeu, Sematic. Il permettra d’apprendre les codes de la lecture aux enfants autistes. Affaire à suivre.
Autre aspect, l’autisme peut aussi se caractériser par la pratique d’une activité de manière excessive, « presque 24h/24 », affirme la praticienne. « Ce mécanisme peut les rendre ultra-performants dans un domaine, qui peut se trouver révélé par un outils issu des TIC. »
La rencontre, aussi, de deux univers professionnels
Bien sûr, les applications ne s’arrêtent pas à l’autisme. Sylvie Serret ne manque pas de faire des parallèles avec la maladie d’Alzheimer par exemple. « Il y a énormément de partenariats à développer entre l’ensemble des acteurs liés aux problématiques du handicap et les entreprises issues des applications des TIC. »
Car s’il s’agit de la rencontre de deux paradigmes, on assiste aussi à la rencontre de deux univers : les professionnels de santé et le monde des développeurs de TIC. Deux univers très distincts avec leurs codes et leurs impératifs. Deux mondes pas forcément destinés à se mélanger, mais qui vont chercher à s’accorder autour d’un projet d’envergure.
« Le rapprochement n’était vraiment pas aisé. À la base, nous parlons des langages différents. Nous pensons échéancier, budget, technos et suivi du projet. Ils pensent épanouissement du patient. Nous cherchons un sens économique. Ils ne se concentrent que sur le sensoriel», expose Jean-François Herbert, président de Solar Games, partenaire du CRA Paca dans la création du serious game, Sematic. Deux cahiers des charges bien distincts, qu’il faut bien faire coexister autour d’un projet commun. Mais le résultat à la clé tient ses promesses : « les technos sont en avance par rapport à ce qu’on imaginait côté médical, les perspectives sont très prometteuses », conclut Sylvie Serret.
Ne pas penser charité, penser business
La formule est bien sûr consciemment provocante. Mais Sébastien Christian, créateur d’Idova et spécialiste des TIC adaptées au handicap, l’assume : c’est bien en pensant business qu’on ira vers plus d’accessibilité. « Le simple fait de penser charité est le cauchemar du développeur de technologies. Il faut être réaliste et se focaliser sur le marché : rendre accessible à tous, c’est tout simplement gagner de nouveaux clients, de nouvelles cibles marketing. » Et le développeur de technologies d’aller encore plus loin : « ouvrir ses technologies au plus grand nombre est une des réponses à une situation de crise économique. C’est clairement le moment de penser accessibilité : It’s time to market! »
« Il y a un vide technologique considérable lorsque l’on considère les TIC adaptées au handicap et des perspectives d’innovations infinies », exprime à son tour Thomas Hugues président de Smartio et développeur de la marque Papoo, des interfaces innovantes dans le domaine des nouvelles technologies. L’entreprise développe des technologies d’aide à la communication pour des utilisateurs victimes du handicap. « Tout est à faire dans ce domaine. Nous ne sommes que deux en Europe sur ce marché. »
Même refrain du côté de Norman Acosta, chef de projet à La Cyber Compagnie. Il a participé au développement de Snoos, « une gamme d’ordinateurs multimédia développés tout spécialement pour une utilisation conviviale et simplifiée »… et donc une accessibilité élargie.
Une marge de progression importante : les écueils des TIC
Tout n’est pas rose pour autant dans cette relation florissante entre TIC et handicap. Quelques écueils ne manquent pas d’être pointés du doigt par les utilisateurs. Jacques Salort, président du CPA 13 « Les Cannes Blanches », une association d’aide aux aveugles et malvoyants, reste perplexe. Passionné de technos depuis trois décennies, Jacques Salort a très vite compris qu’elles seraient d’un grand secours face à la déficience visuelle. « Presque 30 ans plus tard, alors que le boom technologique est ahurissant, trop peu d’interfaces, de services, ont su être accessible à tous les publics. Je ne parle même pas du manque de technologies dédiées. »
Problèmes aussi liés aux modèles économiques des développeurs de technologies dédiées. « Les coûts à l’achat sont considérables par rapport aux interfaces classiques », déplore à son tour un étudiant ingénieur à Gardanne. « Pour des technos dédiées, on est sur un petit nombre de modèles produits. Difficile d’alléger les coûts, même si l’on se bat tous les jours pour y arriver », assure Thomas Hugues. Mais Jacques Salort de surenchérir que les situations de monopôles sont fréquentes sur ce marché comptant trop peu d’acteurs, « il faudrait plus de concurrence, plus de compétitivité. »
Une certaine marge de progression sépare encore les utilisateurs en situation de handicap, d’un usage aisé des TIC. D’un accès à des technologies dédiées plus nombreuses, plus efficaces. Mais la relation entre les TIC et le handicap est bien créatrice de sens. « La principale bataille pour nous, victimes du handicap, reste l’acceptation », conclut un étudiant atteint de surdité. Les TIC, en ce qu’elles permettent souvent de contourner le handicap, participent sans doute aussi à cet effort.
[1] Loi 2005-102 du 11 février 2005, dite loi « handicap ».
Revoir l’intégralité de la conférence Belle de Mai « Handicap et TIC : en quête de sens » :
Conférence : Handicap et TIC en quête de sens par incubateurbelledemai