L’Open data : Des retombées économiques incertaines, des perspectives prometteuses (2/2)

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Écrit par Kunckler Florian

« L’open data va révolutionner les marchés. » Philippe Méda, spécialiste de l’entrepreneuriat, pressent une révolution. D’autres sont plus mesurés. Lorsqu’on aborde l’open data, on ne peut éluder le sujet brûlant des applications dans le monde de l’entreprise. Des retombées économiques. Et là aussi les enjeux sont de taille. Applications mobiles, aide à l’innovation, retombées indirectes ? Mais quels vont être les impacts de l’open data sur les marchés ?

« Personne ne peut le dire. » La réponse est claire, le ton sans ambiguïté. « Celui qui y répondrait avec certitude serait soit un mage, soit un baratineur. Inutile de vous dire pour quel qualificatif je penche. » À la question, « quels vont être les impacts de l’open data ? », Philippe Méda botte en touche.

Non pas que l’homme ne soit pas avisé. Chercheur, spécialiste des moteurs de l’entrepreneuriat et des nouvelles technologies, aujourd’hui consultant en pilotage de l’innovation pour Merkapt, il suit de très près l’émergence du concept. Et pour une raison très simple : « l’open data va bouleverser les marchés, j’en suis convaincu. Il serait inconscient, aujourd’hui, de ne pas s’y pencher avec un grand intérêt. ».

Il n’est pas le seul à être de cet avis.

« On sait que la libération des données publiques concourt directement à l’attractivité d’un territoire, à sa capacité d’innovation. C’est pour cela que nous devons assurer l’exemplarité et engager un chantier pour que l’institution régionale applique à elle-même ces principes », avait pour sa part annoncé Christophe Castaner, alors vice-président du Conseil régional Paca, à l’occasion de l’ouverture de l’Open Garage, le 6 juin 2010. On en était alors à l’émergence du concept dans la région. Certains lui voyait déjà un avenir radieux. Que disaient les chiffres ?

Quelques chiffres à relativiser

Les impacts potentiels de l’ouverture des données publiques donnaient bien le vertige. Mais ils n’en étaient pas moins difficiles à prévoir. Et difficiles à évaluer. Une étude européenne de 2006 [1] osait avancer le chiffre de 27 milliards d’euros par an. Prévision réaliste ? On semblait plutôt s’y perdre en conjectures. « Lorsque la Commission européenne avance le chiffre macro-économique de 27 milliards d’euros de retombées économiques pour l’Europe, la prévision se situe dans une réalité encore lointaine par rapport au contexte actuel… », relativise, six ans plus tard, Philippe Parmentier, consultant en stratégie TIC [2].

« On manque actuellement de données à ce sujet. Les chiffres sur l’impact économique de l’open data existant au niveau national et européen ne sont pas véritablement fiables», présente Stéphane Martayan, chef du service innovation et économie numérique à la région Paca. Autrement dit, il n’est pas encore temps de crier victoire : « le mouvement open data engagé en France et dans notre région est bien trop récent pour pouvoir en évaluer véritablement l’impact économique dès aujourd’hui. »

Même constat en ce qui concerne le “retour sur investissement” (ROI) local. L’un des rares chiffres qui a fait parler de lui, est celui issu du concours Apps for Democracy, lancé par la ville de Washington DC en 2008. On y a calculé le ROI pour les applications issues de ce concours. Et le résultat est impressionnant : 4000 % !

Ce chiffre doit pourtant lui aussi être relativisé. Il est la résultante d’un calcul assez simple : le nombre d’applications que le concours avait permis de développer (47), le coût que leur aurait coûté le développement individuel de chaque application (environ 37 000 dollars par application), moins le coût total du concours (50 000 dollars).  Une approche partielle, «qui ne regarde pas la redondance des applications créées, pas plus qu’elle n’évoque les réponses particulières que l’acteur public aurait identifié et favorisé dans le cadre d’un appel d’offres classique. Mais surtout, cette approche n’arrive pas à mesurer la teneur de la participation… », explique Simon Chignard, spécialiste de l’open data, sur le site de la Fing [3].

Des pistes quant à elles bien palpables

Au delà des chiffres, il y a bien les idées. Des pistes concrètes des retombées économiques que peuvent générer l’ouverture des données. On pense immédiatement aux applications mobiles qui peuvent directement découler de l’exploitation de masse de données nouvelles. Ou plus largement aux services numériques.

On pense aussi aux process de l’innovation. Valérie Peugeot, spécialiste open data chez Orange Labs, a pu mettre en lumière au Royaume-Uni le phénomène suivant : « les données ouvertes abaissent la barrière à l’entrée pour des porteurs de projets innovants… ». Même idée mise en avant par Stéphane Martayan : « le processus même d’open innovation renforce l’écosystème local d’innovation: le fait de faire travailler ensemble de manière nouvelle des acteurs privés et publics, des développeurs, des entrepreneurs, des usagers, des designers et des associations… Cette « fertilisation croisée » nous semble être un terreau propice à des créations de valeurs, économiques et sociales, futures. » Une certitude, le phénomène sera un vecteur d’innovation. Et ce processus semble déjà en marche.

Innovation open data en Paca : des débuts prometteurs

« Fabriquer collectivement les nouveaux services numériques en PACA avec l’open data. » Plus qu’un slogan, cela a été le leitmotiv de la cinquantaine de participants du hackathon, organisé par la FING et l’agence Merkpat, avec le soutien de la région Paca, les 29 et 30 septembre derniers.

L’objectif : « Construire de nouveaux usages employant les données ouvertes régionales. » Avec un pré-requis spécifique : réunir des équipes hétéroclites mélangeant des designers et des développeurs bien sûr, mais aussi des usagers et des artistes.

Résultat obtenu : « Au final les groupes ont porté et présenté 7 projets de très bonne qualité, avec de fortes originalités par rapport aux productions habituelles d’un hackathon open data. En clair, nous n’avons pas fait que du SoLoMo [4]touristique », conclut Philippe Méda. Au nombre de ces projets originaux, on peut citer le gagnant, Open Street Score, un outil d’aide à la décision cartographique multicritères basé sur les données ouvertes pour diagnostiquer une ville. Ou encore Museum, une plateforme ouverte qui permet de compléter, de façon collaborative, la connaissance sur les objets du patrimoine [5].

Mais l’organisateur de relativiser : « Il faut comprendre que ce type d’hackathon ouvert n’a pas vocation à créer des entrepreneurs au lundi matin. On peut inciter, montrer, aider, faciliter… Mais rien de plus. […] Dès lors, la réitération et la duplication de ces évènements sont nécessaires. Il faut maximiser les opportunités de rencontres et d’interactions sur ces sujets d’innovation, pour permettre peu à peu l’émergence d’activités plus mûres, moins naïves et mieux réfléchies. »

Des retombées économiques indirecte

Dépasser les clichés, aller plus loin que l’évidence, c’est aussi le credo de Simon Chignard. « Ce serait trompeur de limiter ces bénéfices à la somme des revenus générés par les applications destinées à représenter et à mettre en forme les données de l’open data », avance le spécialiste rennais de l’open data, précurseur dans l’ouverture des données à l’échelle régionale. En effet, il est souvent difficile de rentabiliser des applications mobiles, « qui permettent tout de même à certains développeurs de génie d’innover et ensuite de rentabiliser leur activité ».

Non, selon Simon Chignard, le cœur du business est ailleurs. « Il y a d’abord les cas où les données publiques deviennent une matière première précieuse pour orienter la stratégie commerciale ou marketing des entreprises. Ici, l’exploitation des gisements publics ne se traduit pas nécessairement par une application. Je pense, par exemple, au promoteur immobilier qui s’appuie sur les données de transport pour savoir où et comment investir. »

On l’aura compris, c’est bien par des gains indirects que le spécialiste pressent l’avenir économique de l’ouverture des données. « Les données publiques deviennent une matière première précieuse pour orienter la stratégie commerciale ou marketing des entreprises », continue Simon Chignard. Même son de cloche du côté de Stéphane Martayan, le spécialiste régional. « Il ne faut pas limiter l’impact de l’open data à la seule émergence d’applications mobiles : à partir des données déjà ouvertes on peut imaginer que des entreprises en utilisent certaines pour évaluer l’opportunité d’un nouveau projet, envisager la localisation d’un nouvel équipement… Bref, la plupart des bénéfices sont « sous le radar », sont indirects et ne sont pas immédiatement visibles. »

« En fait, plus que la commercialisation de nouveaux services ou l’émergence de jeunes pousses, l’exploitation de l’open data par la société civile pourrait induire une meilleure performance des acteurs économiques. Si les citoyens disposent, par exemple, de la performance des hôpitaux acte par acte, les établissements de santé pourraient être incités à se renforcer dans les actes où ils sont les moins bons », avance de son côté le président du Conseil national du numérique, Gilles Babinet. Pour ce dernier aussi, ce n’est qu’à travers la prise en main de l’open data par la société civile que l’on obtiendra les retombées économiques tant espérées. Retombées qui seraient alors essentiellement indirectes.

C’est trop tôt, donc c’est le moment!

Il demeure donc compliqué de réellement statuer sur le futur de l’open data. D’autant que tout est encore à faire. Applications directes, aide à l’innovation ou gains indirects ? L’avenir économique se fera vraisemblablement avec ces trois composantes.

Quant au court terme, Philippe Méda expose : « Les grosses sociétés vont devoir adapter leur gestion des missions de service public, voilà pour l’impact à court terme. Pour le reste, elles tardent encore à se lancer dans le grand bain. » Pourquoi ? « Parce qu’il est encore trop tôt. Mais c’est justement pour cela que c’est maintenant que les petits acteurs de l’innovation doivent s’y intéresser. Maintenant, que les process restent encore flexibles et malléables. Il ne faut pas laisser les grosses sociétés s’approprier trop vite le sujet. »

Bttre le fer tant qu’il est chaud, voilà donc la recommandation du spécialiste de l’innovation. « La révolution pressentie est à ce prix : il faut que les petits acteurs des TIC, moteurs de l’innovation, dédient leur potentiel créatif sur ces questions. »


[3] Fondation Internet nouvelle génération

[4] Pour en savoir plus : http://fr.wikipedia.org/wiki/SoLoMo

[5] Pour plus de détails sur les sept projets du Hackathon Marseille 2012 : http://hackdatapaca.net/

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